J’ai allumé la télé. J’ai tenu 5 minutes. Sitôt le courant arrivé dans l’écran, voilà qu’il projetait dans mon salon une image du vide. Sur un plateau, des éditorialistes commentent. Quoi ? N’importe. Peu importe. Tout et n’importe quoi. Pour dire quoi ? Rien. Ils meublent. Ça parle de ces grévistes privilégiés et irresponsables qui ont tellement d’avantages qu’ils passent leur dimanche à tracter. Pour quoi ? Pour rien ? Pour l’hôpital où des patients sont désormais soignés dans les couloirs. Pour la solidarité, depuis qu’elle est en passe de devenir un film de sciences fiction. Pour préserver l’idée que le progrès, ce n’est pas de niveler les conditions de travail par le bas, ni de monter les usagers contre les grévistes, alors que c’est le modèle social de tous qui est en danger. Les commentateurs, arrivés en Uber X, s’indignent des retards des trains qu’ils ne prennent pas. Ça parle de la ligne 13, j’ai le cœur qui vibre. Asnières-Gennevilliers. Gabriel périt. ��Sans transition, terrorisme. Où l’on apprend, s’agissant de l’attaque de Münster, que même quand l’assassin est d’extrême droite, il vaut mieux le qualifier de « non musulman » (Ouest France). Ça parle de « troubles psychiques » sur BFM, tandis que CNEWS nous dit qu’il s’agissait de « terrorisme-non-islamiste » (CNews) comme si c’était une information. En faisant ça, on considère que le terrorisme « normal » est musulman. Puisqu’on en est arrivés là, Il ne faut plus parler de journalisme, mais de thérapie de groupe.
Je zappe. Manuel Valls sur LCI prophétise la nécessaire réforme de l’islam. Manuel Valls sur France 2 commente le but de Ronaldo. On lui a donné une carte blanche (ou plutôt une carte blanco). Manuel Valls sur RTL explique la relation à avoir avec l’Arabie Saoudite. Manuel Valls sur Public Sénat, pour disserter de la « Peinture en héritage ». Comme Beetleguice, il surgit à tout instant, sauf qu’il n’attend pas d’être appelé trois fois pour débarquer. Sauf en Essonne, où on a du mal à le trouver…
Je zappe. Page de publicité. C’est le seul moment de sincérité de cette séquence télévisée. Achetez notre lessive. Confiez-nous vos données. Mangez notre huile de palme. Utilisez nos produits. Parce que nous valons bien votre argent.
Par la fenêtre, un rayon de soleil appelle. C’est précaire. Mais c’est possible. Il existe une vie, ailleurs que dans cette petite lucarne sur le néant. On y fait entrer les accusés, tout en confisquant leur parole. On y fait des compléments d’enquêtes où les z’amours n’ont jamais d’heure de vérité. On n’est pas couché mais on ne se lève jamais vraiment non plus. Télé matin et tous les soirs, c’est la même rengaine : sous stupéfiant, on voudrait que la vie soit plus belle. On a 28 minutes pour dire que les scènes de ménages entre experts, C dans l’air du temps qu’on n’a plus. Et lorsqu’il s’agit de causer une peine capitale, nos occupants télévisés ont un incroyable talent pour nous faire oublier que pour eux, le journalisme est désormais un voyage en terre inconnue.
J’éteins la télé.
Et sitôt, le monde s’éveille
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